Spread the love

Dans le monde complexe et interconnecté d’aujourd’hui, les États sont confrontés à d’innombrables défis allant de la gestion de l’identité de leurs citoyens à la sécurisation de leurs frontières. Trois éléments se distinguent comme fondamentaux pour la maîtrise et le bon fonctionnement d’un État : l’identification, l’aménagement territorial et le renseignement. Ces domaines, bien que distincts, s’entrelacent pour former le socle sur lequel repose la sécurité nationale, l’efficacité des politiques publiques et la prospérité d’un pays. La force, la faiblesse ou la fragilité d’un État dépendent de sa capacité à manipuler ces trois éléments.

Depuis 1986, Haïti fait face à d’innombrables difficultés. Le « Rache Manyòk » n’a pas seulement mis en déroute les dirigeants de la dictature duvaliériste, mais a malheureusement sapé toutes les structures de l’État, alors qu’il aurait été plus judicieux de les réaménager à l’instar des Chiliens après l’ère Pinochet.

L’autorité de l’État reste à ce jour la plus grande victime des événements de 1986 en Haïti. La société civile semble ne pas vouloir restituer à l’État son autorité. Elle s’inscrit de préférence dans un jeu coquin en cherchant constamment à profiter des avantages des prérogatives de l’État tout en accusant ce dernier d’être inefficace. Que peut l’État quand son concurrent est la société dont il émane ?

Il est indéniable que lorsque la volonté de la société haïtienne s’aligne sur les capacités de l’État, des avancées significatives sont possibles. Pour que notre nation s’épanouisse, il est essentiel que l’État et la société civile travaillent main dans la main, en s’appuyant sur les fondements communs qui ont façonné notre histoire. Ensemble, ils doivent identifier et s’attaquer de front aux véritables enjeux : c’est en saisissant courageusement le taureau par ses trois cornes que nous pourrons surmonter nos défis.

  • Le problème du « Qui est qui ? »

L’identification est un processus central dans la gestion d’une population. Elle permet à l’État de reconnaître ses citoyens, de leur attribution des droits et des responsabilités, et de leur fournir des services. Les systèmes d’identification modernes, tels que les cartes d’identité nationales et les registres civils, sont essentiels pour l’administration efficace des services publics, la mise en œuvre des politiques et la prévention de la fraude. En Haïti, l’Office National d’Identification, les Archives Nationales d’Haïti et les Officiers d’État Civil sont les trois principales institutions directement concernées dans la mise en œuvre des politiques publiques en la matière.

En 2021, environ 35 % des Haïtiens ne possédaient pas de carte d’identification nationale (CIN). Ce manque d’identification officielle empêche non seulement la formulation d’objectifs politiques, mais pose aussi un problème majeur de sécurité nationale. L’Office National d’Identification (ONI), créé en 2005, responsable de la facilitation de l’enregistrement et de la délivrance des cartes, fait face à de sérieux obstacles qui comprennent le manque de ressources, d’infrastructures et de personnel qualifié. . Pire, certains politiques tendent à faire de cette institution un outil au service de leur clan ou cartel. Le scandale de corruption concernant la compagnie allemande Dermalog, en 2018, ne sera pas sans effet sur les prochaines élections dans le pays.

Quant aux Archives Nationales d’Haïti, elles sont chargées de conserver les registres d’état civil, y compris les actes de naissance. Cependant, en raison de défis tels que les catastrophes naturelles, les archives incomplètes et le manque d’accès dans les zones rurales, de nombreux Haïtiens ne sont pas enregistrés à la naissance. Depuis au moins 10 ans, des efforts sont en cours pour numériser et sécuriser ces archives essentielles, mais, à ce jour, tout semble être au stade de démarrage.

Les Officiers d’État Civil devraient jouer un rôle crucial dans l’enregistrement des événements de la vie, tels que les naissances, mariages et décès. Cependant, leur efficacité est entravée par des problèmes tels que le manque de formation, la corruption et l’insuffisance des ressources.

Le problème de l’identification en Haïti est complexe et multifacette. L’ONI, les Archives Nationales et les Officiers d’État Civil doivent être valorisés par l’État et la société afin de relever ce défi. Des investissements dans les technologies, la formation du personnel et l’amélioration des infrastructures sont essentiels pour assurer que tous les Haïtiens puissent être correctement identifiés et jouir de leurs droits fondamentaux. Sans cette capacité de savoir qui est qui dans toute la globalité de sa population, l’État haïtien n’est qu’un bon à rien.

 

  • Le problème du « Qui est où ? »

L’aménagement territorial, qui concerne la manière dont les terres d’un pays sont utilisées et organisées, joue un rôle crucial dans le contrôle des mouvements des individus ainsi que dans le développement économique et social. Une planification territoriale efficace peut conduire à une croissance économique équilibrée, une meilleure utilisation des ressources, une réduction des disparités régionales et une maîtrise plus efficace de la sécurité publique.

Entre urbanisation non régulée, catastrophes naturelles et manque de ressources, les institutions haïtiennes telles que le Comité Interministériel d’Aménagement du Territoire (CIAT), le Service du Cadastre et les Mairies doivent être restructurées, repensées, réorientées. Sans vouloir faire le procès de quiconque, l’inefficacité de ces institutions face à leurs responsabilités est flagrante.

L’urbanisation rapide et toujours non planifiée est un fléau en Haïti. Selon les données de 2022, environ 70 % de la population urbaine vit dans des bidonvilles. De plus, les catastrophes naturelles, telles que les tremblements de terre et les ouragans, exacerbent régulièrement les problèmes d’urbanisation. Ces défis soulignent la nécessité d’une planification territoriale efficace.

Le CIAT a pour mission de coordonner les politiques d’aménagement du territoire au niveau national. Cependant, ses efforts sont souvent entravés par un manque de coordination entre les différentes institutions gouvernementales. Pourtant, son rôle est essentiel pour intégrer les différentes initiatives d’aménagement territorial et pour élaborer des stratégies nationales.

Le Service du Cadastre est quant à lui chargé de la gestion des informations foncières. En Haïti, les problèmes de titres de propriété sont fréquents, avec des estimations indiquant que plus de 80 % des terrains ne sont pas correctement enregistrés. Cette situation engendre des conflits fonciers et freine le développement économique. Le Cadastre, qui devrait jouer un rôle crucial dans la clarification et la sécurisation des titres fonciers, se voit reléguer sa responsabilité aux avocats malhonnêtes et aux criminels.

Les Mairies, en tant qu’autorités locales, sont normalement en première ligne pour gérer les défis de l’urbanisation, du mouvement des populations et de l’aménagement territorial. Normalement, elles sont responsables de l’élaboration et de la mise en œuvre des plans locaux d’urbanisme. Mais, en réalité, en Haïti, les mairies ne remplissent pas leur rôle. Bien qu’élus, la majorité des maires se considère eux-mêmes comme subalternes des ministres de l’intérieur, voire des CASEC. Ils sont depuis des années incapables de concevoir un plan de gestion pour leurs mairies, voire pour leurs cités.

L’aménagement territorial en Haïti fait face à des défis importants, nécessitant une coordination accumulée et des ressources supplémentaires. Le Comité Interministériel d’Aménagement du Territoire (CIAT), le Service du Cadastre et les Mairies doivent être renforcés par des esprits compétents et collaborer étroitement pour surmonter les obstacles liés à l’urbanisation non planifiée, à la gestion foncière et aux effets des catastrophes naturelles. Un engagement soutenu à tous les niveaux de gouvernance est crucial pour progresser vers un aménagement territorial durable et équitable en Haïti. C’est la seule voie pour pouvoir localiser et contrôler chaque individu et groupe de la population, et le seul moyen pour récupérer les territoires perdus.

  • Le problème du « Qui fait quoi ? »

Le renseignement est un autre pilier essentiel pour l’État. Il implique la collecte, l’analyse et la distribution d’informations pour protéger la sécurité nationale et les intérêts stratégiques d’un pays. Le renseignement joue un rôle crucial dans la prévention du terrorisme, l’espionnage et dans la réponse aux crises et menaces extérieures.

Depuis 1986, ni l’État ni la société haïtienne n’ont considéré l’intelligence stratégique comme un élément indispensable à la survie de la nation. Malgré l’assassinat du Président Jovenel Moïse le 7 juillet 2021, cette question n’a fait l’objet d’aucun débat sérieux, ni public ni privé.

Le budget officiel du renseignement est réparti entre diverses structures de l’État, dont le Palais National, la Primature, le ministère de la Justice et le ministère de l’Intérieur. La prolifération des gangs dans les bidonvilles et la porosité des frontières nous amènent à croire que cet argent sert à tout, sauf au renforcement et à l’efficacité du système de renseignement du pays, depuis des années.

Le domaine du renseignement est souvent entouré de questions éthiques, notamment concernant la vie privée des citoyens et l’utilisation de la technologie de surveillance. Mais la balance entre la sécurité et la liberté personnelle demeure un débat continu et essentiel. Ceci étant dit, rien ne devait empêcher, en 2020, la mise en forme, la perfection et l’établissement de l’Agence Nationale d’Intelligence (ANI).

En effet, Le décret présidentiel du 26 novembre 2020 avait établi l’ANI avec pour mission la mise en œuvre de la politique du gouvernement en matière de renseignements et de contre-renseignements. Une particularité notable de l’ANI, selon le décret, était que ses membres, bien qu’ils ne soient pas des fonctionnaires, bénéficient d’une immunité exceptionnelle. L’article 49 du décret stipulait que « aucune action en justice ne peut être intentée contre un agent pour les actes posés dans le cadre de ses fonctions sans les sanctions administratives préalables de l’inspection générale de renseignement et sans l’autorisation expresse du président de la République ». Le problème, sinon le crétinisme, ici est qu’il n’était pas nécessaire d’écrire une telle injonction, car cela va sans dire dans la pratique de tous les services de renseignement du monde.

L’un des premiers actes du Premier ministre Ariel Henry a été d’annuler le décret créant l’ANI, sans proposer d’alternative, comme si le pays n’en avait pas besoin. Pourtant, l’absence d’un tel outil favorise grandement la montée exponentielle de l’insécurité dans le pays, particulièrement ces deux dernières années.

Enfin, pour nous, Haïtiens, le moment est venu de nous rassembler et d’engager un dialogue approfondi sur les défis cruciaux auxquels notre nation est confrontée, sous la direction d’un leadership éclairé et dévoué à la patrie, qui saura rapprocher l’État et la société. L’identification des citoyens, la planification de l’utilisation des terres et le renseignement sont des piliers essentiels pour le développement d’une société moderne et d’un État fonctionnel. Une gestion et une coordination efficaces de ces éléments sont indispensables pour garantir la sécurité, favoriser le développement, améliorer le bien-être des citoyens et assurer la durabilité de notre nation. Les défis inhérents à ces domaines requièrent une attention soutenue et une capacité d’adaptation face aux évolutions technologiques et sociétales. Un système d’identification fiable peut renforcer l’efficacité des opérations de renseignement, tandis qu’une planification territoriale réfléchie est cruciale pour la sécurité nationale

Mettons-nous au travail, dès aujourd’hui !

Leave a Comment